Critique | Livres

[La BD de la semaine] S’enfuir. Récit d’un otage, de Guy Delisle

© Dargaud
Colin Bouchat Journaliste BD

Avec S’enfuir, Guy Delisle confirme son appartenance au cercle très fermé des (très bons) raconteurs d’histoire.

Dans la catégorie « auteur-moi-je », Guy Delisle se pose un peu là. Ses quatre plus grands succès, Shenzhen, Pyongyang, Chroniques birmanes et Chroniques de Jérusalem se basent tous sur le même schéma: le récit d’un Occidental (lui-même) perdu au milieu d’une culture qui n’est pas la sienne et qu’il décrit de manière assez drôle. Pour les deux premiers, parus à L’Association, il était question de suivre dans ces deux villes extrême-orientales la production et la post-production de l’adaptation animée du classique de Dupuis, Papyrus. Pour les deux suivants, parus chez Delcourt cette fois, il suit sa femme avec leur jeune enfant en Birmanie et à Jérusalem où celle-ci a décroché une mission pour une ONG. L’analyse des pays en question gagne en finesse mais perd en humour. Cela ne l’empêche pas de remporter en 2012 le prix justifié du meilleur album au festival d’Angoulême. Ce récapitulatif non exhaustif de l’oeuvre du Québécois nous rappelle qu’il possède un diplôme en animation et qu’il manie donc plutôt bien l’art de mettre en mouvement des dessins figés. Cette maîtrise, conjuguée à l’art du cadrage, va lui permettre de tenir en haleine le lecteur sur les pas moins de 400 pages que comporte son nouvel opus. Delisle change ici de perspective: ce n’est plus lui qui est mis en scène mais un ami, kidnappé dans le Caucase, menotté et séquestré dans une pièce sans vue extérieure… et c’est prenant.

Dans l’enfer tchétchène

[La BD de la semaine] S'enfuir. Récit d'un otage, de Guy Delisle
© Dargaud

En 1997, Christophe André part pour sa première mission humanitaire en Ingouchie avec une ONG médicale. Dans la nuit du 1er au 2 juillet, il est enlevé par des hommes armés. Après un voyage de plusieurs heures en voiture et à pied, le voilà à Grozny, capitale de la Tchétchénie. Il est maintenu en détention dans une pièce aveugle, uniquement meublée d’un matelas, et est menotté à un radiateur. Ses journées interminables sont ponctuées par de maigres repas apportés par ce qui semble être le propriétaire de l’appartement. Il a également le droit d’aller une fois par jour aux toilettes et de se laver une fois par semaine. Le reste du temps, il est allongé sur sa paillasse. Ne parlant pas le russe et ses geôliers ne comprenant pas l’anglais, la communication est proche de zéro. Afin de ne pas sombrer dans la folie, le séquestré rejoue les grandes batailles napoléoniennes dont il est un admirateur et un grand connaisseur. Il échafaude des plans farfelus pour s’enfuir, analyse les bruits qu’il entend, imagine l’avancement des pourparlers en train de se dérouler pour sa libération. On sait qu’il va s’en sortir puisque c’est de son témoignage qu’il s’agit; le suspense découle plus du « comment » et du « quand ». Comme à son habitude, c’est avec un minimum de moyens que Guy Delisle nous raconte cette histoire. Son dessin se résume à un trait fin, plus lâche que pour les albums précédents, et à des aplats de gris bleuté plus ou moins foncés illustrant la luminosité du jour et de la nuit. Il signe ici son album le moins autocentré mais finalement le plus touchant.

DE GUY DELISLE, ÉDITIONS DARGAUD, 432 PAGES. ****

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