Critique | Livres

Jean Doux et le mystère de la disquette molle, poilade en open space

© Tapas/Delcourt
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ONE SHOT | Philippe Valette se fait une place parmi les raconteurs d’histoires (drôles) avec un mélange délirant et captivant d’Indiana Jones et de vie de bureau.

1994, dans les locaux de la société Privatek. Ici, dans cette entreprise de broyeuses à papier, tous les employés ont des têtes de cons, des cravates moches dont la longueur symbolise la place dans la hiérarchie, et des prénoms qui commencent par Jean: Jean-Claude, Jean-Luc, Jean-Pat’, et donc Jean Doux, anti-héros moustachu, scotché à sa montre Casio et à son affreux baise-en-ville, qui va pourtant devenir la star de toute une congrégation, l’aventurier ultime de la vie en open space. Car dans le faux plafond du débarras du bureau, Jean Doux trouve une mallette, et dans la mallette, une disquette. Molle. Comme on en faisait en 1976. Avec, dessus, ce qui ressemble au Graal: les plans de la première machine à broyer les documents, réalisée en 1909, soit 30 ans avant le premier brevet officiel! Les plans, et peut-être le chemin pour remettre la main dessus, cachés sous la moquette de Privatek… Comme dirait le patron de Jean Doux, « on va pas tortiller du cul pour chier droit« : cette BD-là est sans doute une des plus drôles de l’année. Mais pas que.

Blague à caractère informatif

Jean Doux et le mystère de la disquette molle, poilade en open space

Philippe Valette, les amateurs l’avaient rencontré avec l’improbable Georges Clooney, déféqué plus que dessiné aux feutres d’abord en blog puis en album, devenu succès surprise malgré ou grâce à ses gros mots, ses fautes d’orthographe et sa totale liberté de ton. « C’était le but, explique l’auteur qui travaillait jusque-là dans les jeux vidéo et l’animation: me décoincer. Jeter toutes les contraintes par la fenêtre, même le dessin, et m’éclater. Ici, c’est autre chose: j’ai arrêté le boulot pendant un an et demi, j’ai réalisé près de 300 pages, et j’ai remplacé les feutres par Photoshop! Je voulais surtout créer un véritable univers, et raconter une histoire. Une histoire délirante, mais pas sans fondement: cette anecdote sur la première broyeuse à papiers qui ne fut jamais brevetée est véridique! C’est une idée que j’avais depuis plus de dix ans, j’avais même fabriqué la mallette: au début, je pensais en faire un film, et pas spécialement d’animation. Mais la BD n’a aucune limite, elle permet toujours d’aller vers la meilleure idée. »

Des idées, ce n’est pas ce qui manque dans cet Indiana Jones en costard, perdu dans l’univers de Message à caractère informatif, cette capsule détournant de vieux films d’entreprise, diffusée sur Canal Plus à la fin des années 90 -influence majeure et assumée de Valette pour sa première « vraie » BD. Chaque case et chaque dialogue recèlent leur perle, dans un livre-objet lui-même décalé: Valette use ici à fond du format à l’italienne et de son graphisme un peu grossier et sans trait pour créer une narration très cinématographique et parfois spectaculaire. Celui qui cite aussi Antoine Marchalot, Pierre La Police, Brazil ou Schuiten (!) dans ses influences se fait en tout cas, avec Jean Doux et sa disquette molle, une vraie place à part dans le petit monde des auteurs de BD. Ça mérite bien un expresso à la cafèt.

DE PHILIPPE VALETTE, ÉDITIONS TAPAS/DELCOURT, 250 PAGES. ****

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