De Tintin et Milou à Fuzz et Pluck, les duos en BD ont bien changé

Beavis & Butthead, Bob & Bobette, Boule & Bill, Tintin & Milou, Spirou & Fantasio, Spoon & White, Kinky & Cosy, Calvin & Hobbes, Fuzz & Pluck, Johan & Pirlouit. © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Les duos font partie des grands classiques de la bande dessinée, mais l’Américain Ted Stearn se réfère moins, avec ses Fuzz et Pluck, à Boule et Bill qu’à Abbott et Costello et au Comics Indé.

Truc et machin, on en a vu des centaines en bande dessinée. Et ça remonte à loin: dans les premiers numéros des magazines Spirou (et Fantasio) et Tintin (et Milou), il n’y en a déjà, on le voit, que pour les duos: Tif et Tondu, Blake et Mortimer, sans oublier Johan et Pirlouit, Boule et Bill ou même Bob et Bobette: Truc et machin ce fut longtemps la marque d’une bande dessinée sans autre surprise que l’éventuel talent de son auteur, une BD essentiellement franco-belge destinée au plus grand nombre et donc à un public supposément large, et familial. Or, on ne sait quelle serait la réaction de la petite dernière de la famille ou à l’aïeul de la maison à la lecture des duos de BD d’aujourd’hui! Car le glissement s’est fait lentement, du main-stream au pointu, sous influence étrangère, plus adulte ou indé: il y eut Calvin & Hobbes, plus intello, Spoon et White, plus corsé, Samedi et Dimanche, plus poétique, ou Kinky et Cosy, plus trash et plus poilant. On a même vu des auteurs s’emparer du principe, de Mix et Remix (qui ne sont pas des personnages, mais le nom de plume de l’auteur suisse), à Plonk et Replonk (surnom derrière lequel se cache un collectif d’artistes, suisses aussi). Voilà donc Fuzz & Pluck, que l’on doit à l’animateur des célèbres… Beavis & Butt-Head.

Le choix d’un duo de personnages et d’un tel nom pour une série, qui tient pourtant plus de Robert Crumb que de la BD enfantine, n’est évidemment pas innocent chez ce finaud de Ted Stearn, comme il le fut sans doute pour Nix et ses jumelles déjantées: quoi de plus mignon, dans le cas présent, qu’un duo de copains, l’un petit ourson, l’autre pauvre coq, pour mener de formidables aventures apparemment sans danger, surtout pour leur lecteur? Un terreau parfait pour ceux qui aiment en réalité les détourner et les dévoyer, et faire grincer les dents derrière les premiers sourires: chez Stearn, l’ourson est couard et assez insupportable, tandis que le coq a échappé de peu à l’abattage, pour finir à poil, sans plumes et très en colère, tendance psychopathe.

Virevoltant mais plombé

Fuzz et Pluck (T. 3) L’arbre à thunes
De Tintin et Milou à Fuzz et Pluck, les duos en BD ont bien changé

Comme à chaque fois ou presque, à sa dernière parution, Ted Stearn avait laissé Fuzz l’ourson en peluche geignard et Pluck le poulet plumé dans une piètre situation. Soit seuls en mer, prêts à mourir et se détestant -atmosphère qui tourne au cauchemar trash lorsque Fuzz commence à perdre ses coutures et son coton, et que Pluck se coupe une patte pour qu’elle serve d’appât aux poissons! Heureusement, dans ce monde sans espoir, il semble y avoir encore plus malheureux qu’eux, comme ses pêcheurs minables bientôt attaqués par des pirates du même genre ou ce vieux type mort avant d’avoir pu révéler son secret: il existe quelque part, pas loin d’ici, un véritable arbre à thunes, sur lequel les billets remplacent les feuilles. Et voilà notre improbable duo de pattes cassées parti dans une nouvelle quête, celle de l’argent facile, menée dans une atmosphère qui rappellera Alice, Huckleberry Finn et un peu Robert Crumb. Beaucoup d’imagination, un fond de satire sociale et un humour un peu désespéré: le cocktail à la base des Fuzz & Pluck se boit toujours comme du petit lait, malgré l’arrière-goût amer, cher à l’animateur de Beavis & Butt-Head ou de Futurama.

De Ted Stearn. Éditions Cornelius, traduit de l’américain. 288 pages, noir et blanc. ***(*)

Ce dévoiement du conte, des lectures enfantines et de la BD de papa, Ted Stearn, peintre contrarié, s’en est fait une spécialité. Il s’est nourri aussi, pour mieux les régurgiter, des feuilletons américains mythiques mais très premier degré des années 40 et 50, tels Abbott et Costello. Il en a tiré un goût pour le détournement subtil et un brin glauque qui est devenu sa signature. D’abord dans les années 90 et dans l’animation ricaine branchée ado-adulte, où son trait faussement simple a fait des merveilles dans Beavis et Butt-Head, Futurama, King of the Hill, Daria ou encore Rick and Morty (décidément…). Ensuite dans cette bande dessinée, sa seule et unique, qu’il mène à son rythme depuis des années et où la parodie se fait plus sèche, voire désespérée, comme il ne peut sans doute la déployer autant à Hollywood ou à la télévision américaine: Fuzz et Pluck vont, cette fois, courir après l’argent facile, symbolisé par cet évident « arbre à thunes » (voir encadré), mais ne pourront jamais gruger les banques ou les capitalistes, de toute façon plus forts qu’eux… Et que dire des personnages qu’ils vont croiser, picaresques et miteux à la fois, errant sur une île fantôme remplie d’endettés et d’huissiers. Stearn recrée alors sur papier ce sentiment déjà ressenti face à ses dessins animés: un vrai malaise, voulu mais parfois désagréable, construit à coups de faux rythme, de sous-texte pesant et d’intrigues apparemment mignonnettes. Son noir et blanc typiquement américain et le dépouillement de ses décors complètent le tableau, virevoltant et poétique à l’image de son « flâne » (un âne fleuri) mais porteur aussi, d’un vrai discours un peu désespéré sur la société américaine, ses contemporains et, peut-être, sur une certaine bande dessinée qui s’est longtemps complue dans les conjonctions de coordination.

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