Critique | Livres

Attachement féroce, ancien nouveau livre culte

Vivian Gornick © MITCHELL BACH
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ROMAN | Il y a 30 ans, la journaliste américaine Vivian Gornick auscultait les rapports houleux qui la liaient à l’auteure de ses jours.

Aux États-Unis, Vivian Gornick (81 ans aujourd’hui) est ce qu’on appelle une icône: entrée au Village Voice en 1969, elle couvrira pour le magazine new-yorkais la révolution féministe dans des papiers restés célèbres. Critique littéraire très prescriptrice, elle a aussi publié une dizaine de livres dans deux directions: récits autobiographiques, d’une part, essais très subjectifs sur l’écriture, d’autre part -relevant de ce qu’on appelle le personal criticism (émanation du personal journalism cher à Tom Wolfe ou Joan Didion). En 1997, dans The End of the Novel of Love par exemple, et prenant largement appui sur son expérience, la New-Yorkaise se questionnait: après la révolution sexuelle, l’amour avait-il encore un quelconque potentiel dramatique pour les romanciers? Trente ans après sa sortie en VO, Attachement féroce est le premier de ses livres traduit en français. Bonheur: le livre est une pépite.

Sous-titré A Memoir, il ressortit à la veine la plus intime du travail de Gornick, celle qui cherche à écrire la vie. Aussi chaotique et difficilement résumable que l’existence d’un être, le livre prend pour parcours principal la relation de l’auteure à sa mère juive ukrainienne qui l’éleva seule, matriarche accablante et culpabilisatrice ayant fait de la disparition précoce de son mari la définition du reste de sa vie. Un écrasant face-à-face mère-fille qui se poursuivra bien après l’envol du nid de Vivian vers un mariage malheureux: deux femmes comme nouées ensemble par le cordon inconscient de la colère, de la pitié et des désillusions poisseuses de l’amour.

Balade new-yorkaise

Attachement féroce, ancien nouveau livre culte

Le livre fonctionne sur la reprise régulière d’une même strophe: mère et fille se disputant dans New York -en haut de leur immeuble du Bronx dans les années 50 d’abord, le long des boutiques d’antiquaires et des magasins de mode du Lower East Side ensuite, où les deux s’adonnent quelques années plus tard à des promenades avec ordre du jour variable-, discussions hilarantes sur le sens du mariage, souvenirs divers ou commérages cruels sur les anciens voisins ou amants, etc. Portrait d’une époque et d’un milieu, Attachement féroce est aussi le roman d’apprentissage d’une jeune femme qui se réfugiera dans le monde des idées pour tenter d’échapper au déterminisme maternel. Le travail d’une vie: Gornick a beau s’émanciper au fil des années, devenant cette intellectuelle passionnée et indépendante évoquant furieusement Joan Didion, déjà citée, ou Susan Sontag (ces passages, hyper lucides, sur les amours ratées et la solitude), elle reste sous la coupe diabolique de sa mère: « Dans les faits, j’étais nouvelle, libérée et excentrique à mon bureau toute la journée, mais le soir, allongée sur mon canapé à regarder dans le vide, ma mère se matérialisait sous mes yeux comme pour dire: « Pas si vite ma chérie. Nous n’en avons pas encore fini, toutes les deux. » » Le lecteur, lui, assiste mi-amusé mi-interdit à cette succession de scènes grinçantes ou bouleversantes, auscultées à travers une ironie impitoyable et une vérité nue de la langue. Car il est tout de même une chose que la mère ne prend pas à la fille, et c’est l’écriture. Dans quelques très belles pages, Vivian Gornick se remémore son adolescence, et les fantasmes qu’elle nourrissait dans l’obscurité de sa chambre -petites et grandiloquentes histoires de sauvetage et de rédemption, émanations d’une disposition intérieure: « C’était la naissance d’un écrivain: j’avais commencé à bâtir des mythes. »

DE VIVIAN GORNICK, ÉDITIONS RIVAGES, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR LAETITIA DEVAUX, 224 PAGES. ****(*)

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