À 60 ans, Gaston Lagaffe s’invite au Centre Pompidou

© Dupuis
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Il y a 60 ans, Franquin inventait Lagaffe, un anti-héros culte, contestataire et subversif, célébré aujourd’hui à la bibliothèque du Centre Pompidou. C’est bien le moins, mais c’est beaucoup trop peu.

« Il est évident que Gaston essaie par tous les moyens -et parfois il y arrive- d’échapper à toute forme d’autorité; c’est un trait de son caractère. » Gaston, c’est Franquin qui, logiquement, en parlait le mieux. André Franquin, l’un des plus grands dessinateurs et auteurs de bande dessinée du XXe siècle si ce n’est le plus grand, décédé il y a bientôt 20 ans (le 5 janvier 1997), 40 ans presque pile-poil après avoir inventé le héros-sans-emploi le plus fameux de la Terre. Lagaffe, il l’a créé à l’origine comme un bouche-trou dans Spirou: un personnage dont les « M’enfin! », les espadrilles bleues, le pull-over vert, les maladresses et les inventions font partie de la culture populaire de tous les francophones, et qui continue d’être un mythe et une inaccessible étoile pour tous les créateurs de bande dessinée -personne, jamais, n’a capturé le mouvement comme Franquin. Il n’était donc que logique que Gaston ait droit, à l’orée d’une année qui célèbrera son soixantième anniversaire, à des événements à la hauteur de son aura. Et c’est ainsi le prestigieux Centre Pompidou de Paris qui ouvre le bal des hommages, avec une exposition d’une grande qualité. Elle a l’intelligence de mettre l’accent sur le parcours du personnage -de parasite mou et gaguesque à son origine, Gaston ouvrira de plus en plus la voie aux Idées noires– et de donner largement la parole à Franquin lui-même, via de nombreuses interviews ou documents d’époque. Mais Gaston, au-delà de Lagaffe, brille aussi, hélas, par sa modestie.

À 60 ans, Gaston Lagaffe s'invite au Centre Pompidou

Comme Hergé exposé au Grand Palais de Paris, mais dans ses combles, Franquin n’a droit à Pompidou qu’au très petit espace d’exposition intégré à sa Bibliothèque Publique. Soit quatre salles imbriquées dans 50 mètres carrés, laissant peu d’espace à une scénographie ambitieuse ou à des grands formats. Les amateurs y découvriront certes quelques perles (des quatrièmes de couverture en couleurs directes, une Une du Trombone Illustré réalisée uniquement pour son ami Yvan Delporte ou d’incroyables lettres de Monsieur Dupuis, qui supportait très mal la « dérive » engagée de son auteur fétiche et de son personnage-phare) mais seront sans doute déçus par la quantité de fac-similés collés sur carton, par rapport au nombre d’originaux présents ici -moins de dix! Une déception liée sans doute à une trop forte attente -Frédéric Jannin avait néanmoins vu plus grand et mieux il y a trois ans avec une exposition présentée au Centre Wallonie-Bruxelles- et aux habitudes peu conciliantes d’Isabelle Franquin, fille et ayant-droit de l’auteur, qui rechigne à fournir planches et originaux. Une déception donc, mais qui débouche aussi et heureusement sur une bonne surprise: le catalogue de l’exposition, édité chez Dupuis, s’impose d’emblée comme un incontournable.

Le livre plus que l’expo

À 60 ans, Gaston Lagaffe s'invite au Centre Pompidou

Richement illustré, agréablement aéré, il fait voir tout le travail et l’amour de l’oeuvre déployés par les conseillers scientifiques de l’exposition, à savoir Frédéric Jannin (qui consacre désormais une partie de sa vie professionnelle à celle de son mentor) et le couple Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, devenus les monsieur et madame Archives des éditions Dupuis. Ici aussi, les commentaires sont exclusivement ceux de Franquin, et l’on y suit avec émotion le parcours graphique mais aussi philosophique de Lagaffe, dans lequel Franquin mettait d’évidence beaucoup de lui-même, et surtout de plus en plus à chaque planche. Gentiment réfractaire à l’autorité, son personnage s’affirmera chaque jour un peu plus antimilitariste, anti-flic, écolo, contestataire, franchement anar et, au final, très subversif, lui, le héros-sans-emploi devenu pilier de journal. Un parcours qui laisse aussi plus que deviner les indignations et les coups de blues de son auteur, de sa guerre des parcmètres aux dépressions de Bertrand Labévue. Gaston finira même torturé avec des pinces accrochées aux testicules, dans une planche fameuse réalisée pour Amnesty International. Cette trajectoire, aussi limpide qu’unique dans les annales de la bande dessinée, ouvrira naturellement la voie à Franquin d’abord vers Le Trombone Illustré, ensuite vers Fluide Glacial où il réalisera ses mythiques Idées noires, qui n’existeraient pas sans Gaston -et que Fluide réédite lui aussi pour cette année-anniversaire (Gaston est né en 1957, Les Idées Noires en 77), dans une version restaurée, commentée et à nouveau hallucinante de modernité.

Gaston, au-delà de Lagaffe, jusqu’au 10/04 à la bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou. Rue Beaubourg, à Paris. Entrée libre.

Gaston, au-delà de Lagaffe, catalogue de l’exposition. Éditions Dupuis. 208 pages. ****

Et après?

Au-delà de Lagaffe lance donc une année anniversaire qu’on espère à la hauteur de son sujet, mais qui laisse pour l’instant circonspect: outre cet admirable catalogue, Dupuis prévoit de rééditer l’ensemble de ses albums, ainsi qu’un hors-série en forme de best of dès janvier. On attend par contre encore l’annonce d’une exposition digne de ce nom en Belgique. Isabelle Franquin en préparerait une de son côté avec un galeriste, mais rien d’autre à l’horizon… Un vide qui tranche avec l’omniprésence de Hergé.

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