Serge Coosemans

Conseils d’un troll de centre mou pour combattre la droite « tartare de thon »

Serge Coosemans Chroniqueur

Serge Coosemans connaît bien les trolls de droite, ayant passé 10 ans à buller sur le Net en leur compagnie. C’est pourquoi, maintenant que leurs crétineries sont mainstream, il pense que pour les combattre, il faut se mettre à leur niveau. Sun Tzu 2.0 et piques à Vincent Engel, voici le Crash Test S02E12.

Faut que je l’avoue, ça m’a profondément mis mal à l’aise de voir cette semaine beaucoup d’amis et de connaissances, sans parler des collègues et des confrères encore plus nombreux, saluer l’idée que des quotidiens se mettent à publier des « murs de la honte », c’est-à-dire de mettre en exergue des photographies, ainsi que l’identité parfois réelle (pas que des pseudos, donc) de leurs lecteurs ayant publié des commentaires haineux et homophobes sur leurs sites web. Je trouve aussi complètement ahurissant que des gens qui s’autoproclament intellectuels ou du moins semblent baver à l’idée d’être perçus comme tels, comme Vincent Engel par exemple, puissent applaudir ce qui est tout de même avant tout une réaction de bac à sable. Les forums, les commentaires, ça se modère, et je crois donc que si l’on en vient aux « murs de la honte », c’est parce qu’on n’a pas fait ce boulot de modération en amont, le plus souvent pour des raisons bassement financières et commerciales, et que l’on cherche donc surtout à se racheter une conscience en surfant sur un émoi populaire post-trumpesque un peu trop facile à exploiter. Ce qui est tout simplement dégueulasse.

Que cela soit clair. Moi, les homophobes, je les encule, ce qui reste encore la meilleure posologie possible pour ce genre de tare et les racistes, je ne vois pas même l’intérêt de leur parler ou d’accorder une quelconque importance à ce qu’ils déblatèrent. Pour moi, que l’Africain ne soit jamais entré dans l’histoire et a un QI de banane et que l’Arabe soit juste un voleur de mobylettes assez con pour faire sauter des aéroports en échange de putes vierges et de rivières de miel dans l’au-delà revient à prétendre qu’il y a encore des dinosaures au centre de la Terre et que les Goths se rendent aux concerts de Marilyn Manson en balais volants. J’ai 47 ans, il me reste vraisemblablement une trentaine d’années à vivre et je n’ai aucune envie d’encore perdre la moindre seconde de ce temps précieux avec des abrutis, sauf si leurs conneries me font marrer. Or, ça ne me fait plus marrer. Un moment, oui, mais c’était avant.

Il y a une dizaine d’années, j’ai en effet passé un temps dingue sur des sites de crétins de droite, à me prendre drôlement le chou avec eux. Ce n’était pas qu’une perte de temps, vu que j’entretenais tout de même la vague idée d’un jour tirer quelque chose des énormités qui s’y publiaient. Dans une interview, Riad Sattouf avait dit s’être lui aussi battu sur Internet avec des trolls fans de Michel Sardou et d’Alain Madelin et ça lui avait inspiré quelques bonnes idées pour ses bédés, Pascal Brutal notamment. Ça me paraissait donc un bon filon pour des chroniques mais je me suis trop vite lassé. Je ne comprenais tout simplement pas l’intérêt de toutes ces conneries à la Dupont-Lajoie. Ce qui se disait sur ces sites me rappelait des monologues de vieux flic bourré, de concierge nostalgique des colonies et de taximan sous ecstasy. C’était du Jean-Pierre Marielle et je n’ai pas compris, ni capté, que s’y construisait en fait sous nos yeux et en temps réel une rhétorique, une doctrine même, d’une nouvelle droite éventuellement plus extrême que le FN et aussi cohérente qu’implacable. C’était tellement énorme, tellement bête surtout, que je n’y croyais pas. Je ne croyais pas que ces gens puissent y croire, je ne croyais pas que cela avait une quelconque importance, encore moins une quelconque capacité de nuisance.

Padamalgam, bobos, journalopes

Bref, ça me faisait marrer qu’on en vienne à parler comme du dossier le plus urgent à régler dans le monde du jambon à la cantine, des crèches de Noël interdites, des horaires de piscines et des valeurs chrétiennes à défendre contre le fourbe Sarazin alors que Dick Cheney, Madoff et Goldman & Sachs nous bousillaient complètement et irrémédiablement l’existence. Ça me faisait marrer que des types s’estimant martyrisés par la pensée unique ressortent à chaque attaque un peu argumentée d’une seule voix les mêmes concepts prémâchés de padamalgam, tous bobos, « bande de journalopes subventionnées », etc. C’était paradoxal, cocasse, marrant, de la bonne saucisse pour chronique satirique. La grosse erreur, c’est que comme on ne voyait pas forcément où ces mecs voulaient en venir et semblaient par ailleurs condamnés à la marginalité du Web, on n’a jamais pensé construire de véritable contre-discours, ni réfléchi à une bonne contre-offensive tactique. Parce que cela ne sert à rien d’argumenter avec ces gens. Ils ne sont pas dans l’optique d’un débat. Trump l’a démontré: au début, il y est surtout allé pour le show. Ces mecs se montent le bourrichon, s’excitent, s’offusquent, imaginent des solutions débilosses à des problèmes qui n’en sont pas mais se marrent aussi. Ils ont leurs gimmicks, leurs riffs et leurs punchlines et on ne peut raisonnablement pas s’opposer à ça par du fact-checking, des appels au bon sens, à la morale et au respect de valeurs dans lesquelles ils ne se reconnaissent de toute façon pas.

Or, publier sur un site ou dans un journal les photos et les identités des trolls racistes et homophobes, c’est les foutre au coin de la classe avec un bonnet d’âne en espérant qu’ils ressentent de la honte. C’est vraiment une réaction de vieux cureton né au XIXe siècle en train d’essayer d’éduquer des gamins de 1960, de petit prof qui lance des craies sur le coin de la tronche des cancres en train de bien rigoler. Ce n’est pas utiliser les bonnes tactiques, ni les bonnes armes. Les trolls racistes et homophobes sont actuellement en campagne électorale un peu partout en Europe, au gouvernement britannique, dans un mois et demi à la Maison-Blanche. Leur rhétorique, le post-truth, les fake news, sont désormais mainstream. Ça devient urgent de réagir, de bien réagir, et je ne pense pas que l’on puisse encore répondre à la parole raciste, homophobe, xénophobe et antisémite par un discours paisible, argumenté et en appelant au bon sens ou, pire, aux nobles sentiments. Quand Vincent Engel dit dans sa dernière chronique du Soir que lorsqu’on n’est pas d’accord avec lui, « il s’agit de défendre ce point de vue, d’argumenter, et surtout de respecter le contradicteur », il se montre en retard d’une guerre et aussi à côté de la plaque que l’idiot qui prétend que si on montre un beau livre ou un beau film au terroriste, celui-ci déposera aussitôt sa kalachnikov.

S’il y a bien une chose que j’ai apprise de mes heures de guéguerre avec les supporters d’Alain Destexhe et la poignée de cons conservateurs de Belgique, c’est qu’on ne joue pas fairplay avec les trolls de droite. Construire une argumentation, il faut garder ça pour prêcher les convaincus et convaincre les indécis. Là, sur leur terrain, c’est avec leurs armes qu’il faut répondre. Un troll de droite vous trouve un surnom crasseux et caricatural pour faire marrer la galerie? Dégottez sur Facebook une photo débile de lui à 15 ans, un vieil article de blog où il s’avoue fan de Johnny Weissmuller, le MySpace de son groupe de lycée… On vous donne du Bisounours? Très bien. C’est quoi le contraire d’un Bisounours? Johnny Rico, bien sûr, le personnage principal de chair à canon raciste, complètement gogol et endoctriné de Starship Troopers. Le contraire d’un bobo? Un rabi, pour « raciste bigot » ou un « painchoco », en souvenir de Jean-François Copé. Et la « droite tartare de thon », vous connaissez? C’est l’équivalent de la gauche caviar, bien sûr. Prochaine leçon: apprendre à refuser de céder sa place dans le bus et à foutre des tubes ultra-gays au sommet des charts. C’est que dans le temps, contre le racisme et l’homophobie, ça avait pas mal fonctionné…

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