Tonie Marshall, une femme puissante

Tonie Marshall avec Emmanuelle Devos. © Marcel Hartmann
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La réalisatrice Tonie Marshall est décédée ce jeudi à l’âge de 68 ans. Elle était la seule femme à avoir jamais remporté le César de la meilleure réalisation. En guise d’hommage, nous exhumons cette interview qu’elle nous accordait à l’occasion de la sortie de son dernier film, Numéro une, il y a quelques années.

Article initialement paru dans le Focus Vif du 10 novembre 2017.

L’épatant Numéro Une tombe à pic dans une actualité où les femmes se révoltent contre le vieux monde machiste. Rencontre avec sa réalisatrice Tonie Marshall.

C’était déjà une « numéro une », avec son César du… meilleur réalisateur (l’appellation officielle!) pour Vénus beauté (institut) en 2000. Le seul remporté par une femme à ce jour! Tonie Marshall nous réjouit avec un nouveau film aussi gonflé que drôle et (im)pertinent, portant le glaive d’un féminisme assumé dans le gras d’un machisme toujours puissant dans plus d’un segment de notre société. En l’occurrence le monde de l’industrie et ses jeux d’influence politique. « L’idée de départ était de travailler sur la difficulté pour les femmes d’arriver à des postes de décision, pour « decision making position », comme disent les Anglo-Saxons -un terme que je préfère à celui de postes de pouvoir« , explique la réalisatrice qui a tenté vainement, dès 2009, d’obtenir un financement pour une série télévisée d’abord, et ensuite pour un film qu’elle a finalement dû produire seule -et « en ramant« – à travers sa propre société. « Je fais partie d’une génération qui pensait qu’après avoir obtenu la contraception, le droit à l’avortement, les choses ne feraient qu’avancer. Mais je me rends compte qu’en fait pas du tout. Ça bloque et même ça régresse. On remet en cause des acquis qu’on n’aurait jamais pu imaginer voir contestés. Alors je me dis qu’il faut y aller, oser se redire féministe. »

Au cours de sa longue enquête pour préparer le film, la réalisatrice a rencontré des femmes qui ont ou ont eu des postes très importants. Le récit de leurs difficultés a nourri un récit très réaliste, la seule chose inventée dans le scénario étant le club de femmes d’influence qui pousse l’héroïne vers la tête d’une entreprise du CAC 40. « Un club féministe qui aurait cette puissance de feu, et ses entrées à l’Élysée, cela n’existe pas encore!« , déclare une Tonie Marshall qui ne se fait pas d’illusions: « Il est très très dur de lutter contre une vision des rôles masculins et féminins profondément ancrée dans la culture, dans la chair même. » Elle se prononce en conséquence pour des quotas professionnels, et pour l’instauration d’un congé de paternité obligatoire de la même durée que le congé de maternité.

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Réaliser pour durer

De l’héroïne de son film, admirablement incarnée par Emmanuelle Devos, la réalisatrice dit « qu’elle est puissante, qu’elle sait ce qu’elle vaut et ce qu’elle veut, mais que ce n’est pas une « tueuse », ce qui m’a été reproché par certains hommes, qui me disent que ce n’est pas crédible, qu’elle n’est pas assez dure pour arriver où elle est! » Refusant là-aussi les clichés, Marshall célèbre « une femme qui sait qu’elle peut pleurer, que le sol peut se dérober sous ses pieds, une femme qui en assumant ses faiblesses renforce en fait sa puissance…  » Et d’affirmer, forte de son enquête en milieu entrepreneurial, que « les femmes sont très souvent motivées par ce qu’elles peuvent apporter, ce qu’elles peuvent changer, améliorer, tandis que beaucoup d’hommes sont avant tout attachés à un poste, à un statut, au pouvoir vu comme une fin en soi. »

De son côté, si Tonie Marshall, jusqu’alors comédienne appréciée, est devenue réalisatrice à la fin des années 80 (avec Pentimento), c’est « avec l’idée de durer dans le cinéma, et aussi évidemment d’échapper à la dépendance qui caractérise le métier d’acteur, qui est absolue, et qui en outre est une dépendance à un désir, pas le sien mais celui d’un autre. Quelques acteurs passent à la réalisation, mais les actrices sont beaucoup plus nombreuses à le faire, et depuis plus longtemps. Christine Pascal, Nicole Garcia, moi dans une moindre mesure, avons concrétisé très tôt notre envie d’autre chose. Et plein d’autres l’ont fait aussi depuis! » Et de terminer sur une note optimiste: « Si vous allez à la Fémis, la plus grande école de cinéma à Paris, il n’y a que des filles! Ce n’est même plus la parité, elles deviennent une majorité partout. Et pas seulement en section réalisation mais dans tous les métiers y compris techniques! Sans parler de la production, de la distribution. Et on ne leur met pas de bâtons dans les roues comme on le fait encore et parfois violemment dans le monde de l’entreprise… »

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