Tanna, une romance océanienne

Marie Wawa et Mungau Dain dans Tanna de Martin Butler et Bentley Dean. © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La réalisation de Tanna fut une aventure, sur un terrain vierge et dans un respect scrupuleux de la culture Yakel.

Martin Butler est venu au festival de Rotterdam accompagné de JJ Nako, son assistant sur le tournage de Tanna. L’homme appartient à la tribu des Yakels, dont sont issus les personnages principaux du film et au sein de laquelle les coréalisateurs Butler et Bentley Dean ont vécu durant sept mois pour mener à bien leur très original projet. « J’ai servi de traducteur et de lien entre l’équipe et la communauté, mais j’ai aussi assumé une bonne part du travail d’enregistrement du son, quand le technicien a longuement été retenu en Australie« , explique celui qui a aussi pu collaborer à l’émergence du récit »puisque les réalisateurs ont débarqué sans idée préconçue quant à l’histoire qu’ils allaient raconter, voulant que le film soit certes une fiction mais aussi le reflet de notre culture, de notre mode de vie… La vie, la vie réelle, devait être au coeur de tout. Les dialogues, notamment, étaient souvent créés au moment même, juste avant une prise, et j’étais là pour assurer qu’ils sonnent vrai. »

Martin Butler, après avoir émigré en Australie au tout début des années 80, est passé du journalisme au documentaire, avec un net accent mis sur une approche authentique des cultures aborigènes. Avec son coréalisateur et associé Bentley Dean, il a placé en priorité absolue « l’inscription du film dans le quotidien des Yakels, en faisant tout naître de l’intérieur et en collaboration étroite avec les membres de ce peuple« . Tout a commencé quand Dean et sa compagne ont pris la décision d’emmener leurs deux très jeunes enfants vivre quelques mois chez les Yakels, pour ouvrir leurs fils à une autre réalité. « Martin m’a proposé d’en profiter pour tourner un film, et cette fois non plus un documentaire comme nous en avions faits plusieurs mais une fiction, histoire de sortir de notre zone de confort. Nous avions vu le film de Rolf de Heer Ten Canoes(1) et nous étions convaincus qu’une telle approche collaborative pourrait s’avérer fertile avec les Yakels.« 

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Authenticité

« Nous ne sommes bien sûr pas habitués à la caméra, commente Nako, mais comme tout ce qui était joué était aussi réel, les acteurs n’en ont ressenti aucune gêne, une fois les premiers jours passés. La dimension héroïque n’empêchait pas chacun de voir ce qu’il faisait comme un prolongement de ce qu’il ou elle est vraiment, de son rôle au sein de la communauté. » Les conditions de ce naturel, Butler et Dean se sont employés à les créer. « Il était hors de question d’arriver en clamant: « Alors voilà, nous sommes des cinéastes et voici ce que nous allons faire! » Nous sommes venus sans rien à imposer, avec notre équipement et nos talents, mais en disant aux gens que ceux-ci seraient au service de quelque chose qui devrait venir d’eux. Bien sûr la démarche ne pouvait être absolument pure. Nous voulions faire un film qui soit accessible et compréhensible, agréable aussi, à un public de spectateurs occidentaux. Il fallait donc une structure dramatique, des personnages forts, un flux narratif. Mais sans jamais cesser d’être authentique, fidèle à une culture que nous voulions exalter en la respectant absolument. »

La méthode, née de plusieurs expériences de documentaires « dans des zones reculées, où règnent des traditions ancestrales puissantes« , fut bien évidemment cruciale. « Il faut déjà oublier toute idée de contrôle, explique Martin Butler, et rester en permanence à l’écoute. Chaque journée de tournage commençait par… une longue conversation avec JJ, indispensable vecteur entre les acteurs et nous. Nous avions bien évidemment une idée précise de ce qu’il devrait arriver dans la scène, mais aucun script dialogué. Les mots, les gestes, naissaient d’un échange où nous demandions: « Que diriez-vous, que feriez-vous, dans cette situation? » Notre rôle étant d’ensuite de capturer au mieux, techniquement parlant, ce qui allait se passer devant nous. Grâce à l’immense talent de chef opérateur de Bentley, les images ont cette beauté particulière que le film devait avoir, tant nous voulions offrir une dimension épique à l’histoire, à ses protagonistes. » Le résultat est à la hauteur des ambitions émises. Tanna séduit autant qu’il touche, faisant résonner avec une rare justesse les tensions entre tradition et modernité, jeunesse en mal de liberté et cadre culturel retenant leur élan.

(1) UN FILM AUSTRALIEN DE 2006, ANCRÉ DANS LA MYTHOLOGIE ABORIGÈNE, PRIMÉ À CANNES (SECTION UN CERTAIN REGARD) ET AU FESTIVAL DE GAND (GRAND PRIX), ENTRE AUTRES.

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