Qu’attendre du 70e festival de Cannes?

Les Fantômes d'Ismaël, d'Arnaud Desplechin © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

La 70e édition du festival de Cannes s’ouvre ce mercredi sur Les fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin. Signe des temps: en plus des habitués, les productions télévisées s’invitent sur la Croisette, désertée par les grosses machines hollywoodiennes…

La rumeur annonçait Alien: Covenant, de Ridley Scott, voire encore le Dunkirk, de Christopher Nolan, en ouverture? C’est finalement sur Les Fantômes d’Ismaël, d’Arnaud Desplechin, que débutera le 70e festival de Cannes, première surprise d’une sélection en recelant d’autres. Et l’illustration de ce qui ressemble à une certaine désaffection des studios hollywoodiens, qui n’ont dépêché aucune grosse production sur la Croisette, pas même Pirates of the Caribbean: Dead Men Tell No Tales, dont la date de sortie, le 24 mai, semblait pourtant programmée pour une projection en séance spéciale, comme ce fut le cas en 2011 pour l’épisode précédent.

Twin Peaks
Twin Peaks© Showtime

L’autre surprise, et qui a fait plus de vagues celle-là, tient à la présence significative de productions télévisées en sélection. Il y avait des précédents, bien sûr, comme Carlos d’Olivier Assayas, présenté hors-compétition en 2010, deux ans avant le Hemingway & Gellhorn de Philip Kaufman, sans même parler du P’tit Quinquin de Bruno Dumont, qui fit, en 2014, le bonheur des spectateurs de la Quinzaine. Rien de comparable, toutefois, à la déferlante annoncée pour les prochains jours. On peut ainsi, sans risque majeur de se tromper, pronostiquer que l’événement de ce 70e festival résidera dans la projection des deux premiers épisodes de la prochaine saison de Twin Peaks, ouvrant quelque 25 ans plus tard un nouveau chapitre de la série culte créée par David Lynch et Mark Frost. Voire encore, dans une moindre mesure, celle de Top of the Lake: China Girl, deuxième saison de la série réalisée par Jane Campion. Encore, s’agit-il, dans l’un et l’autre cas, d’anciens lauréats de la Palme d’or, le premier pour Sailor et Lula, en 1990, la seconde pour La Leçon de piano, trois ans plus tard, ce qui justifiait amplement une sélection dans le cadre des événements liés au 70e anniversaire. Plus délicate, par contre, apparaît celle, en compétition, de The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach, et de Okja de Bong Joon-ho, deux films battant pavillon Netflix et qui ne seront, a priori, accessibles ensuite qu’aux abonnés de la plateforme de streaming, sans distribution en salles. Si nul ne songerait à contester les qualités du réalisateur de While We’re Young, pas plus que celles de celui de Mother, deux auteurs contemporains majeurs, il y a là un curieux précédent, et l’on n’est guère surpris que les exploitants français aient déjà fait part de leur mauvaise humeur. Il serait en tout état de cause piquant de voir le plus grand festival de cinéma au monde couronner, par le jury que présidera Pedro Almodóvar interposé, un film que personne, en dehors du microcosme cannois, ne pourrait apprécier sur grand écran…

Okja
Okja

L’on n’en est pas encore là, cependant, et la sélection officielle, forte d’une cinquantaine de longs métrages sur les quelque 1930 (!) soumis à la sagacité de Thierry Frémaux, le délégué général, et de son comité de sélection, a assurément fière allure. Ainsi, bien entendu, de la section-reine, la compétition, forte de 19 titres, suivant une répartition géographique faisant la part belle à l’Europe (12) et, dans une moindre mesure, aux États-Unis (4) et à l’Asie (3), et accueillant aussi bien des nouveaux venus (encore qu’il n’y ait là aucun premier film) que des habitués de la manifestation. Ils sont ainsi au nombre de trois (ou plutôt quatre), outre Noah Baumbach et Bong Joon-ho, à faire leurs débuts à ce niveau, à savoir Robin Campillo, scénariste de Laurent Cantet (dont il cosigne L’Atelier, présenté à Un Certain Regard) et auteur d’Eastern Boys, avec 120 Battements par minute, le Suédois Ruben Östlund, invité de dernière minute avec The Square après avoir été primé à Un Certain Regard pour Turist, et les New-Yorkais Benny et Josh Safdie, avec Good Time, et la paire Jennifer Jason Leigh/Robert Pattinson. À leurs côtés, le Grec Yorgos Lanthimos, auteur du décapant The Lobster, et de retour avec The Killing of a Sacred Deer, où il retrouve Colin Farrell, associé à Nicole Kidman (au générique de pas moins de quatre oeuvres au programme du Festival); la Japonaise Naomi Kawase, dont l’on attend le Vers la lumière avec impatience, au même titre que le Nelyubov du Russe Andrey Zvyagintsev; l’Américain Todd Haynes, qui réunit Michelle Williams et Julianne Moore dans Wonderstruck; la Britannique Lynne Ramsay, dont You Were Never Really Here succède à l’inoubliable We Need to Talk About Kevin…

Et l’on en passe, comme le prolifique Coréen Hong Sangsoo qui, à l’instar de Jim Jarmusch l’an dernier, réussit à placer deux films en sélection, Le Jour d’après en compétition et La Caméra de Claire, tourné l’an dernier à Cannes avec Isabelle Huppert, en séance spéciale, l’Ukrainien Sergei Loznitsa avec Une femme douce, le Hongrois Kornel Mundruczo (White God) avec Jupiter’s Moon, ou encore l’Allemand Fatih Akin avec Aus dem nichts. Liste non exhaustive à laquelle il convient encore d’ajouter un trio de cinéastes français, à savoir François Ozon et son Amant double, Michel Hazanavicius et Le Redoutable, adapté de Anne Wiazemsky avec Louis Garrel en Jean-Luc Godard, et Jacques Doillon, qui retrouve la compétition avec Rodin 33 ans après La Pirate. Une liste que ponctuent Sofia Coppola, avec un remake de The Beguiled, de Don Siegel, et, last but not least, Michael Haneke, qui briguera une troisième Palme d’or avec Happy End.

Happy End
Happy End

Privilège cannois, le menu des autres sections n’est guère moins alléchant. Ainsi de Un Certain Regard où, outre celle de Laurent Cantet, on saluera les présences de Mathieu Amalric (en ouverture avec une Barbara à qui Jeanne Balibar prête sa voix), Kiyoshi Kurosawa (Avant que nous disparaissions), Mohammad Rasoulof (Un homme intègre) ou autre Taylor Sheridan, ci-devant scénariste de Sicario et Hell or High Water, et dont le Wind River compte parmi les sept premières oeuvres au programme. Ajoutez-y les Roman Polanski, Agnès Varda, Raymond Depardon, Vanessa Redgrave, Alejandro Gonzalez Inarritu (explorant la réalité virtuelle dans l’installation Carne y arena) ou autre Claude Lanzmann dont les nouveaux films seront présentés en séances spéciales ou hors compétition, et tout est prêt pour un 70e de haut vol, tous formats d’écrans confondus. Seul bémol, le cinéma belge s’y voit réduit à la portion congrue, à savoir le documentaire La Belge Histoire du festival de Cannes de Henri de Gerlache, présenté à Cannes Classics, et les courts métrages Paul est là de Valentina Maurel, et Camouflage d’Imge Özbilge, sélectionnés à la Cinéfondation.

Cannes parallèle

Brigsby Bear
Brigsby Bear

L’an dernier, Ma vie de courgette de Claude Barras, Fais de beaux rêves de Marco Bellocchio, la révélation Divines de Houda Benyamina ou encore le Neruda de Pablo Larraín avaient fait le bonheur des spectateurs de la Quinzaine des Réalisateurs pilotée par Édouard Waintrop, ex-journaliste à Libé. Qu’est-on en droit d’attendre cette fois de la principale section parallèle du rendez-vous cannois? De fort belles choses, sur le papier en tout cas. Dix-neuf longs métrages, deux programmes de courts et un hommage au cinéaste allemand Werner Herzog: le menu est copieux, qui s’ouvrira avec Un beau soleil intérieur, l’intrigant nouveau film de Claire Denis, lointainement inspiré de Roland Barthes, scénarisé par Christine Angot et interprété par le tandem Binoche-Depardieu. La suite est à l’avenant, entre Jeannette, le trip mystique dansé et chanté de Bruno Dumont, Frost, le nouveau Sharunas Bartas avec Vanessa Paradis, The Florida Project, qui voit le réalisateur de Tangerine Sean Baker filmer des gosses vivant à la marge de Disneyland, Ôtez-moi d’un doute, où Carine Tardieu réunit Cécile de France et François Damiens, voire même Alive in France, soit Abel Ferrara documentant sa propre tournée musicale sur les routes de l’Hexagone. Mais aussi des films signés Amos Gitai, Philippe Garrel ou encore Jean-Charles Hue.

Plus difficile de tirer des plans du côté de La Semaine de la Critique, qui fait la part belle aux premiers films. On se souvient que Grave y avait marqué les esprits en 2016. Julia Ducournau et Garance Marillier trônent d’ailleurs sur l’affiche de cette édition 2017 annonçant treize courts et onze longs, parmi lesquels Ava, de la scénariste d’Arnaud Desplechin Léa Mysius, le film d’animation iranien Tehran Taboo ou bien le très attendu Brigsby Bear de Dave McCary (Saturday Night Live) avec Claire Danes et Mark Hamill. À quoi on ne manquera pas d’ajouter une séance spéciale concoctée par l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) et consacrée à Pour le réconfort, la première réalisation de l’acteur Vincent Macaigne. Plus que quelques nuits dormir…

N.C.

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