« On ne peut pas faire de la direction d’acteur avec un aigle, un cheval, un renard… »

© Asher Svidensky
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Otto Bell signe avec The Eagle Huntress un documentaire superbe, mais controversé. Rencontre.

Les paysages sauvages et sublimes de Mongolie fascinent le regard. Et les aventures de la jeune Aisholpan, treize ans, avec son aigle qu’elle apprend à dresser pour la chasse traditionnelle, sont passionnantes à suivre. Pour son premier long métrage, Otto Bell réussit un documentaire aux multiples facettes, exaltant la force tranquille d’une adolescente déterminée. Accueilli triomphalement au Sundance Festival, The Eagle Huntress (lire la critique) fut nommé à l’Oscar, avant d’être retiré de la compétition suite à une polémique fâcheuse. Le réalisateur anglais installé à New York aurait en partie mis le film en scène, manipulé la réalité pour offrir un spectacle plus séduisant. Il s’en explique dans l’entretien qui suit. Mais revient d’abord sur les circonstances d’un projet né d’une… photographie.

« J’ai l’expérience de la publicité, mais de publicités tournées dans le style documentaire et qui m’ont permis de parcourir le monde depuis six ou sept ans« , explique Otto Bell avant d’évoquer sa « décision d’entreprendre un long métrage documentaire » et sa découverte « des images prises en Mongolie par Asher Svidensky, un jeune photographe israélien s’étant passionné pour la culture locale et plus spécialement la chasse à l’aigle dressé« . Aisholpan, l’intrépide gamine qui allait devenir l’héroïne du film, y figurait, captant l’attention d’un réalisateur qui se dit « Voilà mon sujet!« 

Voulant agir vite et de manière indépendante, Bell a financé le film sur ses économies personnelles, réunissant un budget de 100.000 dollars. Modeste mais suffisant pour se retrouver très vite dans la montagne mongole, à suivre la périlleuse capture d’une jeune aiglonne par Aisholpan. « C’est la première scène que j’ai tournée pour le film, et il ne fallait pas se rater, alors je l’ai couverte simultanément de trois angles différents« , se souvient le cinéaste dont le double souci était « de capter le réel de la manière la plus directe possible tout en visant des images de qualité, car la haute résolution à 5K offre une expérience potentiellement extraordinaire« .

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Polémique

« L’idée de départ était de filmer Aisholpan dans sa vie quotidienne et surtout de l’accompagner dans ce qui pourrait être une histoire très forte de female empowerment, explique Otto Bell, mais une fois sur place tout a bien sûr changé. » Le réalisateur a maintenu le schéma narratif (« Acte 1: capture d’un bébé aigle dans le nid; acte 2: entraînement de l’aigle et approfondissement du lien avec lui; acte 3: avènement et reconnaissance d’un vrai maître de la chasse avec aigle en la personne d’Aisholpan« ), mais il lui a fallu s’adapter aux réalités du terrain. « Vous arrivez sur les lieux de tournage avec un plan détaillé, mais très vite vous devez l’oublier et sortir une boussole« , sourit-il rétrospectivement.

Le sourire se fige, pourtant, quand il s’agit de parler des polémiques nées autour du film. Un sujet que Bell aborde de lui-même, le sachant inévitable. « Face au film, une minorité de critiques se dit immédiatement que c’est trop beau pour être vrai, et que donc on a inévitablement triché pour enjoliver les choses. Comment aurais-je pu diriger une gamine qui ne parle pas l’anglais? Je pouvais juste indiquer l’action principale, comme pour la séquence de la capture de la jeune aiglonne, une prise unique de douze minutes. Accroché à flanc de montagne, pouvais-je lui hurler des instructions, en plus dans une langue qu’elle ne comprenait pas? Et ce concours de chasseurs, je ne pouvais pas en deviner l’issue, alors j’ai placé autant de caméras que possible pour couvrir le maximum d’hypothèses. Ensuite, au montage, l’ordre des plans peut être modifié sans qu’il y ait mensonge sur la réalité! On ne peut pas faire de la direction d’acteur avec un aigle, un cheval, un renard… » Le montage, c’est bien là que la controverse opère le plus facilement, car il peut suggérer des choses qu’un bout à bout scrupuleux n’exprimerait pas avec la même clarté. Un débat qui fit déjà rage autour des documentaires animaliers de Disney dans les années 50-60. Et même bien plus tôt quand il visa le chef-d’oeuvre sur les Inuits de Robert Flaherty, Nanook of the North, réalisé en 1922.

Des reproches ont aussi étés adressés à The Eagle Huntress pour avoir par trop souligné la dimension féministe de l’épopée d’Aisholpan. D’autres femmes ayant été dresseuses d’aigle dans le passé et la culture mongole n’étant pas spécialement machiste (les femmes votent là-bas depuis 1915, les Belges depuis 1948 seulement!). Otto Bell repousse ce reproche en expliquant « n’avoir pas voulu faire d’Aisholpan une icône féministe, mais bien plus simplement un exemple de réalisation de soi, de poursuite de ses rêves ». « N’oubliez pas que le film s’adresse essentiellement à un public de jeunes filles et de jeunes gens. S’ils y trouvent, à travers l’exemple d’Aisholpan, une source d’inspiration, je serai le plus heureux des réalisateurs! »

Intéressé par d’autres sujets pour son deuxième film (entre autres les sangliers radioactifs qui prospèrent dans la région de Fukushima…), Bell va par ailleurs poursuivre son travail au sein de l’unité cinématographique qu’il a fondée au sein de la chaîne CNN. Une équipe baptisée… Courageous.

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