« La différence entre Alien et Life, c’est qu’aujourd’hui, il semble impossible d’envisager l’avenir »

Jake Gyllenhaal et Rebecca Ferguson nagent en plein thriller SF, un huis clos spatial horrifique et glaçant. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Life, le cinéaste suédois Daniel Espinosa s’attaque à la science-fiction, pour signer un fort estimable thriller horrifique, réminiscent de Alien.

Révélé il y a une demi-douzaine d’années par Snabba Cash, un petit polar madré, le Suédois Daniel Espinosa a ensuite rallié le contingent nordique de Hollywood, suivant cette « scandinavian trail » empruntée avec des fortunes diverses par les Lasse Hallström, Nicolas Winding Refn, Stellan Skarsgård ou autre Mads Mikkelsen. Après le thriller dans Safe House et Child 44, le voilà qui tâte de la science-fiction avec Life, un huis clos racontant l’odyssée de l’équipage d’une mission spatiale n’étant pas au bout de ses surprises lorsqu’il découvre avoir embarqué sur Mars un échantillon d’une forme de vie extra-terrestre… « Réaliser un film de science-fiction me paraissait impossible en Suède, commence le cinéaste. Mais tous les réalisateurs rêvent de s’y frotter un jour. À mes yeux, même un film comme Le Silence, de Bergman, relève du genre, parce qu’il en a certaines caractéristiques. Au cinéma, la SF se limite souvent à un espace intérieur confiné -il s’agit, pour ainsi dire, de films de sous-marins, en termes de perspective. L’intérêt fondamental de placer des gens dans un tel espace tient à l’anxiété qui peut alors jouer à deux niveaux: le fait d’être perdu dans l’éternité et le néant, combiné à un sentiment claustrophobique. Voilà pourquoi Tarkovski s’y est essayé avec Solaris, Kubrick avec 2001 et d’autres encore, comme Carpenter, Cuaron, Nolan ou Scott… »

Du côté de Alien

Ridley Scott et son cultissime Alien (réalisé en 1979, NDLR) constituent d’ailleurs la référence manifeste de Life, même si le film brouille quelque peu les pistes en lorgnant aussi du côté de Gravity, d’Alfonso Cuaron, ou de Das Boot, de Wolfgang Pedersen, parmi quelques autres encore dont on laissera volontiers la surprise au lecteur. Une influence que Daniel Espinosa admet voire même revendique, tout en nuançant quelque peu le propos: « La différence entre Alien et Life, c’est que quand Alien a été produit, nous étions en pleine ère atomique, on attendait la bombe et le seul moyen d’imaginer le futur, c’était à bonne distance; d’où un film se déroulant dans une dystopie néo-punk. Dans le monde chaotique dans lequel nous vivons aujourd’hui, envisager l’avenir à un horizon de cent ans semble impossible, nous ne pouvons pas regarder au-delà de demain. Voilà pourquoi j’ai voulu que Life soit plus réaliste, et repose sur quelque chose qui soit sur le point d’exister. »

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Un souci qui a conduit le réalisateur à recourir aux services de divers scientifiques au titre de conseillers techniques, et notamment au généticien britannique Adam Rutherford (associé auparavant à l’impeccable Ex Machina d’Alex Garland), à l’origine du design de la créature. « Je lui ai donné le scénario et un ensemble de règles, et il a travaillé sur un schéma évolutif et les capacités de cette créature, avant d’être rejoint par Ziggy, un graffeur de ma connaissance. C’est un artiste très sombre, avec le même genre de noirceur et d’absence de compromis que H.R. Giger (designer suisse dont le nom reste associé au monstre de… Alien, NDLR)« . Descendant des slime molds -des micro-organismes gluants et mouvants, à organisation cellulaire simple- et se voulant tout à la fois plausible et terrifiante, la forme de vie imaginée par le duo n’a, en tout état de cause, guère à envier au huitième passager du film de Ridley Scott. « À partir de là, nous sommes arrivés à cet univers mais aussi à l’idée d’une évolution différente: les humains ont toujours la conviction de constituer le stade le plus avancé de l’évolution, mais ce n’est pas le cas, l’humanité a été menacée d’extinction; cette dernière est la règle, et non la survie. »

Règles du cinéma de genre

Au-delà de son réalisme, la force de Life tient cependant à son équilibre, où tension et effroi font bon ménage, à quoi Espinosa a veillé à ajouter d’utiles respirations -ces moments dont il concède qu’ils sont ceux qu’il préfère dans ses films où il revisite inlassablement la grammaire du cinéma de genre. « Si j’aime le cinéma de genre, c’est, je pense, parce que j’ai fait mes débuts au Danemark, observe-t-il. J’aime les règles et ce type de cinéma vous en donne -c’est l’autre facette de Dogma, si vous voulez. La science-fiction repose sur des règles et le côté amusant réside dans le fait qu’on est censé en briser certaines. J’aime ainsi tout particulièrement les deux tournants inattendus qui se produisent dans ce film (…) et qui en nourrissent d’autres éléments. Le genre infecte l’ensemble. Parfois, c’est trop simple, mais d’autres fois, quelque chose se produit, et cela devient alors intéressant. » Une règle que le cinéaste a toutefois respectée, c’est celle voulant que la science-fiction ait une portée volontiers métaphorique. S’il est avant tout un divertissement efficace, Life avance aussi d’autres ambitions. « Pour moi, Calvin représente l’inconnu et nous place face à l’incertitude. Le scientifique Carl Sagan a dit que dans l’hypothèse d’une rencontre avec des extra-terrestres, le problème résiderait moins dans leurs intentions à notre égard que dans nos réactions vis-à-vis d’eux. Ce qui se vérifie si l’on envisage l’histoire de l’humanité. Voyez encore aujourd’hui, alors que les migrants se bousculent aux frontières de l’Europe: avec la peur que nous projetons sur eux, comment imaginer qu’ils ne vont pas nous répondre? Si l’on compare Calvin à Alien, il ne s’agit pas d’une créature malfaisante au départ; il est plutôt bienveillant, et ce sont peut-être les projections de nos propres peurs qui le nourrissent et provoquent sa réaction, constat qui renvoie plutôt à Solaris. Quand j’ai reçu ce scénario, je venais de devenir père. Depuis, je passe beaucoup de temps à réfléchir à mes mauvais côtés et à ces facettes de ma personnalité que je déteste, avec lesquelles je crains de contaminer ma fille. Voilà aussi ce dont parle ce film; personne n’est tenu de le comprendre mais c’est un sujet qui me préoccupe… « 

Life on Mars

De tout temps, le cinéma s’est ingénié à trouver des traces de vie sur la planète rouge. Survol…

Robinson Crusoe on Mars
Robinson Crusoe on Mars© DR

Le septième art n’en était encore qu’à ses premiers balbutiements lorsque Georges Méliès en déploya l’horizon et l’imaginaire à la faveur de son Voyage dans la Lune, en 1902. D’une aventure spatiale l’autre, il ne faudra guère plus d’un mouvement de caméra pour que le cinéma élargisse son champ d’exploration à la planète Mars, objet, dès 1910, de A Trip to Mars, court métrage réalisé par Ashley Miller pour le compte de Thomas Edison et considéré comme le premier film américain de science-fiction. Un savant y mettait au point l’anti-gravité lui permettant de rejoindre la Planète Rouge, expédition le conduisant dans une forêt de géants, avant d’échouer dans la paume d’un Martien l’immobilisant de son souffle, situation inconfortable dont le libérerait une explosion le ramenant sur le plancher des vaches -home, sweet home… Le Danois Forest Holger-Madsen devait lui emboîter le pas en 1918 avec Le vaisseau du ciel, space opera envoyant un ingénieur sur Mars pour y découvrir une population pacifiste et revenir porteur d’un message de paix (on était au lendemain de la Première Guerre mondiale). Quant au Russe Jakov Protazanov, son Aélita (1924) expédiera sur Mars l’ingénieur Los, qui y contribuera avec ses compagnons à mener la révolution contre un régime totalitaire…

Péril rouge

C’est avec les années 50, et la menace des périls rouge et atomique notamment, que les odyssées martiennes vont se multiplier, aux États-Unis en particulier. Flight to Mars de Lesley Selander (1951), Red Planet Mars de Harry Horner (1952), The Angry Red Planet d’Ib Melchior (1959), les exemples abondent en effet -jusqu’à Abbott & Costello go to Mars, en 1953, où les deux nigauds finissent par se retrouver sur Venus, après un crochet par… la Nouvelle-Orléans. Il y en a pour tous les goûts, films d’anticipation inspirés comme nanars pur jus baignant dans un environnement résolument kitsch et reflétant les angoisses de l’époque. Invaders from Mars, de William Cameron Menzies (1953), n’est pas sans parenté, par exemple, avec le mémorable Invasion of the Body Snatchers, de Don Siegel, et ses Martiens, certes riquiqui dans leurs combinaisons verdâtres, infectant l’esprit de Terriens en quelque entreprise de lobotomisation plombée, cependant, par un final aussi confus que délirant (un film dont Tobe Hooper signera un remake une trentaine d’années plus tard). À l’autre bout du spectre, le Devil Girl from Mars, du Britannique David MacDonald, s’avère résolument farce qui, à la suite d’une guerre des sexes ayant décimé les hommes de Mars, expédie sur Terre une dominatrice armée d’un rayon-laser et d’un robot en fer blanc, afin d’y enlever les hommes susceptibles de contribuer à repeupler sa planète; Ed Wood n’aurait pas fait mieux. L’époque, toutefois, n’est pas propice qu’aux films de série Z et un Robinson Crusoe on Mars de Byron Haskin (1964) touche, dans la splendeur irréelle des décors de Death Valley, à la SF existentielle, sur les pas d’un astronaute échoué sur la Planète Rouge avec pour seul compagnon son singe –The Martian, de Ridley Scott (2015) n’est, somme toute, guère éloigné.

Mars Attacks!
Mars Attacks!© DR

Si le genre a pu paraître s’essouffler, le Total Recall de Paul Verhoeven (1990), réexpédiant Arnold Schwarzenegger sur Mars entre différents niveaux de réalité, et le Mars Attacks! de Tim Burton (1996), hilarant hommage aux films de SF des années 50, avec ses Martiens décimant la population terrienne au son de « We come in peace », vont sonner le signal de la reconquête en effet. De Red Planet, d’Antony Hoffman (2000), à John Carter, d’Andrew Stanton (2012), rebaptisant Mars en Barsoom, en passant par Ghosts of Mars, de John Carpenter (2001), les chroniques martiennes se sont en effet multipliées, anime (Cowboy Bebop, Shinichirô Watanabe, 2001) et films pour enfants (My Favorite Martian, Donald Petrie, 1999) inclus. Et jusqu’au fascinant Mission to Mars que signait Brian De Palma en 2000, entre fulgurance et naïveté. Le terreau martien semble d’ailleurs inépuisable, et après Life, spéculant sur la présence d’une forme de vie sur la Planète Rouge, on découvrira, début mai, The Space Between Us, de Peter Chelsom, l’histoire du premier homme né sur Mars, et entreprenant le voyage vers la Terre à la recherche de son père. L’odyssée de l’espace ne fait, après tout, que commencer…

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