Laurent Raphaël

L’édito: La culture comme cellule de reconversion

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« Au-delà des qualités intrinsèques du Tueurs de François Troukens, on se réjouit que la culture ramène à elle une de ses brebis égarées. »

Les rubriques culture et faits divers sont plus proches qu’on ne l’imagine. Un jour dans la première, le lendemain dans la seconde. C’est le cas le plus fréquent. Une star qui joue du couteau sur un producteur fourbe (Jay-Z en 1999), qui fricote avec le milieu (de Sinatra à Delon), qui joue au dealer de drogue (50 Cent), ou qui se laisse envahir par le démon de la kleptomanie (Lindsay Lohan). La notoriété, ou son effritement, est le plus souvent l’étincelle qui allume la mèche ici. Trop de pression, ego qui enfle démesurément, paranoïa toxique… Les raisons de sortir des clous sont nombreuses. L’inverse est parfois vrai aussi, même si plus rarement. Des malfrats qui quittent la case prison pour se réinventer dans le milieu artistique, où ils trouvent, au choix, une forme d’apaisement, un exutoire, sinon des manières moins risquées d’expérimenter les limites. Ce fut le cas de l’acteur Mark Wahlberg, qui filait un mauvais coton dans sa jeunesse, c’est le cas aujourd’hui de l’invité surprise de cette fin d’année: François Troukens. À 47 ans, après une vie de bandit de grand chemin, surtout ceux où circulaient des fourgons, et après avoir payé pour ses crimes -une trentaine de braquages au compteur quand même dans les années 90-2000-, l’enfant terrible du Brabant wallon a rangé les Kalach, les cagoules et les bouffées d’adrénaline pour se consacrer à une passion pour l’art qui couvait de longue date -il sera même éditeur et marchand de planches originales de BD lors de sa cavale-, et achever enfin de transformer la chrysalide en papillon.

Certains ne supporteront pas de voir l’ex-ennemi public numéro 1 se pavaner sur les tapis rouges des festivals, comme celui de Venise en septembre dernier où le film était présenté pour la première fois. La culpabilité, cette question bourrée d’épines morales, ne s’efface pas avec la levée d’écrou. D’abord parce que le « bon sens » populaire, cette matière hautement inflammable et revancharde, a tendance à mettre tous les délinquants dans le même panier. Simple et expéditif mais injuste et contre-productif. Une trajectoire déviante n’est pas l’autre. De même qu’il ne viendrait à personne l’idée d’enfermer dans la même camisole Hannibal Lecter et le personnage de Max incarné par Jean Gabin dans Touchez pas au Grisbi de Jacques Becker, il serait absurde de comparer un tueur psychopathe sans état d’âme et un braqueur qui aime un peu trop la dolce vita, surtout quand il s’est fixé des limites, notamment de ne jamais faire couler le sang. Une posture naïve et romantique quand on part à l’assaut des tirelires roulantes sur une autoroute fréquentée, mais qui rappelle l’éthique noble de la voyoucratie à l’ancienne, avec ses codes, ses principes, pas plus immoraux finalement que les magouilles fomentées derrière les portes lambrissées de certains conseils d’administration.

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Troukens nous aide à comprendre ce qui l’a conduit sur la mauvaise voie en déployant sa psyché sur plusieurs terrains de création, tous fortement imprégnés de son charisme de mauvais garçon à l’américaine, sûr de lui et professionnel jusque dans les moindres détails: celui de l’autobiographie (Armé de résilience, chez First éditions), celui de la BD (Forban, au Lombard) et surtout celui du cinéma, avec le film Tueurs, plat de résistance de ce festival Troukens. Contrairement à certains confrères qui font tout pour gommer les pages sombres de leur passé, il assume et se sert de son expertise pour insuffler une grosse dose de réalisme dans ce premier long métrage. Consciemment ou non, il sait aussi qu’il peut compter sur le pouvoir d’attraction de l’univers du grand banditisme, surtout quand il prend les traits avantageux de « Paul Newman », le surnom de Troukens dans le milieu. Et c’est ici que la réalité rejoint la fiction. Le cinéma français (Melville, Audiard, Lautner…) comme le cinéma américain (Mann, Walsh, Scorsese…) ont alimenté le mythe du criminel au grand coeur, plus humain souvent que les détenteurs de la force. Au-delà des qualités intrinsèques de Tueurs, on se réjouit que la culture ramène à elle une de ses brebis égarées. Un film justement illustre parfaitement cette idée de rédemption par l’art: De battre mon coeur s’est arrêté, de Jacques Audiard, dans lequel un petit caïd (Romain Duris) s’arrachait aux griffes d’un destin criminel grâce au piano. À quand des ateliers cinéma, BD, musique ou littérature dans les prisons?

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