Laurent Raphaël

L’édito: Ceci n’est pas du cinéma

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Ils ne le savent pas encore mais le 26 février prochain, les cadors d’Hollywood seraient bien inspirés de décerner par anticipation un Oscar du meilleur second rôle à la Belgique…

Février 2018, aéroport de Zaventem. Un contingent de scénaristes hollywoodiens vient d’atterrir, réveillant au passage la moitié de Bruxelles. Au pied de l’avion, des représentants du tourisme de la région de Bruxelles-Capitale, de la Région wallonne, de la Région flamande et des Cantons de l’est, plus quelques ministres, échevins et officiels non identifiés, plastronnent devant les caméras. La porte s’ouvre. Une hôtesse pimpante s’extrait de la carlingue, suivie de près par des hommes au teint hâlé cachant mal leurs grimaces derrière des Ray-Ban XXL. La pluie battante et la fraîcheur du petit matin n’expliquent pas à elles seules leur manque d’enthousiasme, qui tranche singulièrement avec les sourires généreux accrochés aux visages détrempés du comité d’accueil. Comme l’explique aux micros qu’on lui tend Jonathan Aibel, scénariste de la série Kung-Fu Panda, « nous n’avons rien contre la Belgique, au contraire, nous la remercions de nous accueillir, mais nous sommes toujours furieux contre Trump de nous avoir jetés dehors« . Car après s’être occupé durant sa première année de mandat des Mexicains, des musulmans et des arabes, le Président américain a décidé de nettoyer à grandes eaux bénites les écuries d’Hollywood. Joignant le geste à la parole, il a signé à Noël un décret bannissant une longue liste de scénaristes coupables de haute trahison envers la Patrie. Aibel, par exemple, s’est fait coincer pour apologie de l’ennemi chinois. Seuls les repentis pouvaient espérer échapper à la sentence. Et pour prouver leur bonne foi, ils devaient s’atteler au remake de The Color of Money, mais en prenant sa fille Ivanka et lui-même pour jouer les rôles de Tom Cruise et de Paul Newman.

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Se souvenant qu’elle a été la base arrière de tous les écrivains pestiférés au XIXe siècle (de Victor Hugo à Karl Marx en passant par Rimbaud), la Belgique s’est tout de suite portée candidate pour accueillir les premiers bannis. Une occasion rêvée de redorer son blason à l’international même si, pour ne pas trop froisser le costume susceptible de Trump, le Premier ministre s’est abstenu de venir sur la piste faire des selfies avec Barry Jenkins, scénariste et réalisateur de Moonlight. Avec son histoire d’homosexuel afro-américain refusant de céder à la virilité ambiante, il n’avait aucune chance d’échapper à cette nouvelle chasse aux sorcières…

Mais ce qui chiffonnait aussi la troupe d’élite habituée à chasser ses histoires sur un territoire grand comme un continent où le crime, la corruption, la misère et l’injustice crachent des scénarios originaux à la pelle depuis 200 ans, c’était de s’asphyxier en étant subitement cantonnée dans un pays de la taille de deux comtés californiens. Qu’allaient-ils pouvoir se mettre sous la dent pour leur prochain synopsis? Une querelle de voisinage entre Flamands et Wallons? La success story d’un fabricant de gaufres? Ils ne savaient pas encore dans quel pays fantastique ils mettaient les pieds…

Février 2019, au Square à Bruxelles. Les Magritte déroulent le tapis bleu pour la 9e fois. Sauf que cette édition est un peu particulière. Les habituels Gourmet, Lafosse, Efira et Lanners ont dû faire de la place aux copains américains débarqués un an plus tôt et presque tous déjà en lice avec un film. Contrairement à ce qu’ils redoutaient, la Belgique s’est révélée particulièrement riche en magouilles, scandales et dérapages moraux de grande envergure. Replacés dans le contexte américain même s’ils ont été tournés à Charleroi et alentours, leurs films respirent l’actualité locale. Comme The Plumber, qui concourt pour le Magritte du meilleur film et raconte l’ascension puis la chute d’un homme d’affaire d’Atlanta qui a utilisé ses appuis politiques pour tisser un réseau de sociétés dirigées par des hommes et des femmes de paille grassement rémunérés. Quant à Low Speed Train, candidat au Magritte du meilleur scénario, il se déroule entièrement dans un tribunal de Cincinnati. C’est là qu’a lieu le procès intenté par un groupe de citoyens d’une petite ville majoritairement noire contre la puissante compagnie des chemins de fer nationale qui promet depuis 20 ans de relier Williamstown au centre de la métropole, une liaison pourtant essentielle à sa survie économique.

Ils ne le savent pas encore mais le 26 février prochain, les cadors d’Hollywood seraient bien inspirés de décerner par anticipation un Oscar du meilleur second rôle à la Belgique…

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