Hailé Guérilla

TEZA
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le toujours combatif et politique Hailé Gerima fait l’objet d’un hommage à la Cinematek. Un événement!

Ses films portent une parole brûlante, sur des images bousculant les codes. L’oppression sociale, l’esclavage, le colonialisme et le racisme, il s’y est confronté dans une oeuvre lyrique et politique à la fois, où brillent des films phares comme La Récolte de 3000 ans, Sankofa, Bush Mama et Cendres et braises. Hailé Gerima vient d’avoir 71 ans et poursuit inlassablement son travail de cinéaste et de conscience africaine comme afro-américaine. Ce natif d’Éthiopie, émigré aux États-Unis en 1968, animait un atelier avec 25 jeunes étudiants en cinéma venus de tout le continent à Louxor (Egypte) quand nous lui avons parlé à quelques jours de sa remarquable rétrospective bruxelloise à la Cinematek (1). « Je dis aux étudiants que la clé est de travailler ensemble. Le cinéma est un art collectif. Et dans le contexte très difficile du cinéma sur le continent africain -limites économiques mais souvent aussi entraves à la liberté d’expression-, s’unir et s’entraider est d’autant plus crucial! Le contexte technologique est favorable, il rend tout plus léger et accessible. J’encourage même mes étudiants à filmer avec un téléphone portable, s’il le faut, s’ils n’ont pas le budget pour une caméra… »

La transmission n’est pas qu’un concept mais bien une réalité concrète pour celui dont le propre père, auteur dramatique sillonnant l’Ethiopie pour mettre en scène des pièces avec les habitants, fut le premier mentor. « C’est lui qui m’a insufflé le désir de créer et la conscience politique« , clame haut et fort un Hailé Gerima qui devait trouver sa voie en Californie, où il obtint son diplôme universitaire en Beaux-Arts, spécialisation cinéma. « C’est sur le campus que j’ai rencontré d’autres étudiants noirs partageant ma faim de faire des films rebelles aux canons du commerce.« Ensemble, ils allaient rejoindre la « L.A. Rebellion » et former la Los Angeles School of Black Filmmakers. Un mouvement comptant notamment dans ses rangs Charles Burnett (Killer of Sheep), Ben Caldwell (I & I: An African Allegory) et Larry Clark (pas le réalisateur blanc et controversé de Kids mais l’auteur du néoréaliste et percutant Passing Through). « J’étais au départ une personne très colonisée, culturellement parlant, et américanisé par les films de Hollywood, explique aujourd’hui Gerima. Et dans les premiers temps aux États-Unis, quand je faisais des études de théâtre à Chicago puis à UCLA, je me suis senti encore plus aliéné. Puis j’ai découvert les films de Godard et leur liberté. Aussi et surtout les cinémas de Cuba, d’Amérique latine -Miguel Littín, Fernando Solanas- et d’Afrique -Ousmane Sembene, Med Hondo. Ils m’ont fait découvrir le pouvoir du cinéma, que certains réalisateurs sud-américains appelaient « the new hydrogen bomb »… J’ai compris que la caméra pouvait être une arme! »

Struggle and fight!

« Struggle and fight« , « Lutter et se battre« : le mot d’ordre révolutionnaire reste d’actualité pour Hailé Gerima. Si ses films majeurs, réalisés entre 1975 et 1993, conservent aujourd’hui une forte résonance, ce n’est pas seulement à leurs -grandes- qualités qu’ils le doivent. « S’ils restent tellement actuels, c’est aussi et surtout parce que les choses dont ils parlent, le monde qu’ils évoquent, n’ont pas vraiment changé, commente le cinéaste. La division raciale est toujours bien présente, elle est même la ligne la plus nette divisant la société. J’ai réalisé ces films avec un engagement maximal, qui dépassait leurs imperfections, toujours braqué sur les histoires. Et ces histoires pourraient malheureusement encore être racontées aujourd’hui, tant en Afrique où la démission des élites maintient la pauvreté, l’injustice, qu’aux États-Unis où plane encore l’ombre des chaînes de l’esclavage, du racisme et de la discrimination… »

Le cinéma « mainstream » ne trouve toujours pas grâce aux yeux d’un artiste qui y voit « toujours la même aliénation« . S’il partage le constat posé par la crise de 2016 aux Oscars sur l’absence de nommés issus des minorités, il estime « qu’en ne cherchant qu’à monter dans la hiérarchie de Hollywood, les acteurs et réalisateurs afro-américains trahissent un combat aux enjeux plus profonds. Le racisme américain ne se résume pas aux méchants « rednecks » sudistes. Il est un nutriment permanent de la société. Et Hollywood s’en nourrit encore et toujours, pas seulement vis-à-vis des Noirs mais aussi des Indiens, des latinos. Alors celui qui revendique sa place aux Oscars devrait se demander si ce qu’il fait bénéficie aux autres ou si ce n’est qu’une ambition personnelle. Les Afro-Américains devraient aussi se montrer solidaires des « native Americans », des latinos. Moi, si le système m’accepte, en laissant les autres dehors, alors j’ai un problème de conscience. Un gros problème de conscience. »

S’il reste un cinéaste et un citoyen très engagé, Hailé Gerima n’oublie pas plus qu’hier le fait que les mots, les slogans ne peuvent à eux seuls faire des films remarquables. « Le contenu ne m’a jamais semblé suffisant, explique-t-il, j’ai toujours cherché une forme exprimant ce que j’appelais « mon accent ». Aujourd’hui encore, je suis toujours l’étudiant de mon propre « accent ». À chaque film, je développe un peu plus mon langage cinématographique, de manière imparfaite. Je n’ai pas fini d’apprendre, même si je me suis amélioré, même si j’ai grandi. »

(1) DU 08/04 AU 12/05, À LA CINEMATEK (9 RUE BARON HORTA, 1000 BRUXELLES). GERIMA SERA LÀ LE 09/04 POUR UNE PRÉSENTATION ET UNE LONGUE CONVERSATION PUBLIQUE.

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