Le MIMA sous le signe de la désobéissance civile

Advertisement for Escape. Cette image monumentale -10 mètres sur 7- tendue juste en face du MIMA est emblématique de l'esprit intrusif de Wonderland. Elle s'aperçoit façon trou de serrure à travers un panneau occultant une fenêtre. L'exposition est à comprendre comme une invitation à passer de l'autre côté du décor. Tout au long des salles, plusieurs dispositifs sollicitent le visiteur. Il y a par exemple le "corridor", une allée qui aligne des cabanons en bois à l'intérieur desquels se trouvent des oeuvres. Seul hic, les portes sont fermées. À chacun de faire preuve d'astuce pour contourner l'obstacle. L'idée d'effraction est un fil rouge qui se matérialise dans une autre oeuvre, collective celle-là. Il s'agit d'une série de cadenas dont il faut trouver la combinaison. Pour ce faire, tout un chacun est invité à rayer sur un carnet les codes invalides au fur et à mesure qu'ils sont tentés. La durée -un mois et demi d'expo- et le nombre de visiteurs jouent en la faveur de cette ouverture. © MIMA
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Le MIMA a choisi de placer 2018 sous le signe de la désobéissance civile. Comme premier temps fort de l’année, le musée accueille Akay & Olabo, deux passe-murailles suédois qui font des merveilles.

Akay? Le nom ne dit pas grand-chose sous nos latitudes. Erreur. Il s’agit d’une pointure à l’oeuvre séminale. Preuve de son aura: l’homme figure parmi les 40 artistes retenus dans The World Atlas of Street Art and Graffiti, une somme parue en 2013 aux Yale University Press. Pour son auteur, l’anthropologue Rafael Schacter, Akay est de la même trempe qu’un Shepard Fairey ou que le duo brésilien Os Gemeos. Il s’explique: « Depuis plus de 20 ans, il déploie une oeuvre avant-gardiste qui s’est diffusée de manière souterraine. De nombreux artistes urbains sont influencés par lui sans même le savoir. Il a débuté, « classiquement », si l’on peut dire, par le biais d’installations mais également d’actes de vandalisme artistique dans les lieux publics qui se sont révélés jamais inutiles. Il y a toujours une finalité de lutter contre les routines qui nous aveuglent. Petit à petit, le centre de gravité de son travail a évolué vers des endroits cachés. Désormais, Akay construit une oeuvre underground et ludique qui évoque les TAZ d’Hakim Bey, ces « zones autonomes temporaires » où l’on est à la fois plus libre, plus festif et solidaire. »

Outside. Au première étage, après avoir longé un couloir grillagé, on tombe sur cette installation qui reprend plusieurs aventures urbaines menées à Stockholm. Chaque fois, on découvre la localisation géographique, le lieu de l'effraction, les clés de l'endroit, des anecdotes étonnantes et les oeuvres qui ont été ou non réalisées sur place. Des fils de laine rouge relient l'ensemble. Ces endroits ont largement contribué à fournir la matière première de l'exposition -panneaux en bois, serrures, caméras... Fonctionnant avec un minimum d'argent -60 euros par mois-, Akay récupère tout ce qu'il peut.
Outside. Au première étage, après avoir longé un couloir grillagé, on tombe sur cette installation qui reprend plusieurs aventures urbaines menées à Stockholm. Chaque fois, on découvre la localisation géographique, le lieu de l’effraction, les clés de l’endroit, des anecdotes étonnantes et les oeuvres qui ont été ou non réalisées sur place. Des fils de laine rouge relient l’ensemble. Ces endroits ont largement contribué à fournir la matière première de l’exposition -panneaux en bois, serrures, caméras… Fonctionnant avec un minimum d’argent -60 euros par mois-, Akay récupère tout ce qu’il peut.

Akay exposé à Bruxelles? Schacter, qui s’apprête à sortir le très attendu Street to studio aux éditions Lund Humphries, n’en revient pas. « C’est un choix curatorial extrêmement audacieux car tout l’univers d’Akay échappe aux logiques habituelles de l’art et aux codes d’exposition, il ne vend quasiment rien, ses oeuvres ne peuvent pas être déplacées… », précise l’intéressé. Rae, la femme d’Akay, enfonce le clou: « les pièces éphémères qu’il signe ne sont en général vues que par les voleurs de cuivre, les squatters ou les démolisseurs« . Sur place, la découverte du montage de Wonderland, en compagnie de Raphaël Cruyt du MIMA, confirme le caractère atypique de la pratique. « Vivre est leur profession, s’émerveiller leur raison d’être, l’art leur façon de rire ou de se révolter« , résume le curateur. Pour qui a encore en tête les images de Art Is Comic, l’exposition précédente du lieu, la surprise est de taille. À l’esthétique très léchée et ultra graphique d’un Jean Jullien a succédé un étrange fatras mêlant en vrac écrans de télévision, caméras de surveillance, grillages tailladés et bricolages lo-fi. Exit les palettes graphiques et autres crayons, c’est désormais la visseuse qui règne ici en maître.

Wip voiture.
Wip voiture. « Nous avons amené une partie de Stockholm à Bruxelles », s’amuse Akay. De fait, un container entier, chargé au maximum, a été acheminé depuis la capitale suédoise. La carcasse de cette Fiat 500 est une exception, elle a été trouvée du côté de Bruxelles. Ce qui est assez incroyable, c’est que de nombreux objets glanés sur les friches que les artistes arpentent sont encore en parfait état de marche -notamment un mur entier de téléviseurs placé à l’entrée de l’exposition à la façon d’un dispositif panoptique. « One man’s trash, another man’s treasure » est la devise d’Akay.

Nouveau paradigme urbain

« Notre job, c’est d’être dehors, d’interagir avec la ville. Ces quatre dernières années nous les avons passées à trouver des maisons abandonnées« , explique d’emblée Akay. C’est devant une tasse de café que l’on croise le Suédois. La pause qu’il s’offre pour répondre à quelques questions ne peut être que bien méritée tant le désordre autour de lui témoigne d’une mise en place qui engage le corps. Hissé sur le front, un casque de chantier anti-bruit lui fait deux oreilles jaunes de Mickey. Complice pour Wonderland -c’est une particularité d’Akay, il s’associe toujours avec un autre artiste afin de ne pas céder à l’omniprésent culte du moi-, Olabo le rejoint, un pamplemousse à la main. Foulard rouge noué dans les cheveux, celui-ci embraie: « Nous passons notre temps à traîner à vélo. Ce style de vie est différent de tout ce que l’on peut trouver à Stockholm. Les gens vont toujours d’un point A à un point B. Nous disposons de beaucoup de temps pour errer, ça nourrit notre manière de regarder les choses et stimule notre créativité. »

Panopticon. Une des obsessions d'Akay et d'Olabo est de construire des habitats provisoires. Qu'il s'agisse de nichoirs pour les oiseaux situés dans des zones hyper-urbanisées ou d'improbables cabanes suspendues à des falaises, ces dispositifs apparaissent comme des refuges pour le vivant. Il est question de se protéger de l'extérieur mais également d'échapper au regard, au quadrillage façon Google Maps. Dès l'entrée, Wonderland donne le ton de la surveillance généralisée à travers un imposant alignement de téléviseurs et de caméras de surveillance.
Panopticon. Une des obsessions d’Akay et d’Olabo est de construire des habitats provisoires. Qu’il s’agisse de nichoirs pour les oiseaux situés dans des zones hyper-urbanisées ou d’improbables cabanes suspendues à des falaises, ces dispositifs apparaissent comme des refuges pour le vivant. Il est question de se protéger de l’extérieur mais également d’échapper au regard, au quadrillage façon Google Maps. Dès l’entrée, Wonderland donne le ton de la surveillance généralisée à travers un imposant alignement de téléviseurs et de caméras de surveillance.

Rien d’anodin dans ce style de vie intrusif qui est à l’origine même de la pratique artistique du duo. Akay en précise la généalogie: « Au départ, la rue était notre terrain de jeux. On signait des graffitis visibles pour tous. Puis, la montée en puissance des médias sociaux, notamment Instagram, a contribué à nous déposséder de la partie documentation de notre travail. N’importe qui peut faire une photo d’une oeuvre et la poster. Face à cette situation, on a décidé de mener notre travail à l’abri des regards. De cette façon, nous décidons quand et comment nous voulons le montrer. » Bien sûr, ce nouveau paradigme urbain, qui n’est pas sans rappeler les explorations de l’Anversois Philippe Van Wolputte, génère sa dose d’adrénaline. Des aventures rocambolesques, Akay et Olabo en ont des dizaines à raconter. Découpées à même des affiches publicitaires disparates et collées sur un mur du MIMA, les lettres formant la phrase « We got toxoplasma » livrent l’explication officielle. « Toxoplasma gondii » est le nom d’un parasite pour le moins retors. Celui-ci infecte les rats, mais ne se reproduit qu’à l’intérieur du système digestif du chat. Pour proliférer, ce protozoaire procède méthodiquement: il altère le cerveau du rongeur qu’il héberge afin qu’il n’ait plus peur des félins et se fasse croquer dans la foulée. De façon semblable, la paire urbaine venue de Suède semble avoir la transgression inscrite dans son ADN. Wonderland est en ce sens une invitation, à marcher dans leur pas, à se déconditionner et à réaliser combien les chancres sont des opportunités inespérées d’exercer notre liberté au coeur des villes quadrillées.

Wonderland, Akay & Olabo: du 26/01 au 15/03 au MIMA, 39-41 quai du Hainaut, à 1080 Bruxelles. www.mimamuseum.eu

La collection s’élargit

On profitera deWonderlandpour aller jeter un oeil à la collection permanente située au deuxième étage du MIMA. Pas banale, elle est composée d’une quarantaine d’oeuvres prêtées par une association de mécènes. Objectif à moyen terme? Donner à voir une soixantaine de pièces retraçant la vitalité d’une période qui commence en 2000 -pour rappel, le premier « M » de MIMA signifie « Millenium »- et qui se poursuit aujourd’hui, soit un corpus ayant échappé à la plupart des musées. Les plus curieux avaient déjà pu contempler un aréopage de signatures prestigieuses: Swoon, Escif, Katsu, Faile, Barry Mcgee, Ari Marcopoulos, Parra, Brecht Vandenbroucke, Horfee, Eddie Martinez, Daniel Johnston, Sixe Paredes, Maya Hayuk, Boris Tellegen, Fuzi UV TPK, HuskMitNavn… Bonne nouvelle, la section compte quelques nouvelles oeuvres. Parmi celles-ci, on pointera un dessin de Bonom se présentant comme une esquisse de la fameuse fresque -une femme en train de se masturber sur une façade de la rue de Witte de Haelen- qu’on lui a attribuée. À ne pas rater non plus, une « Drone painting » signée par le graffeur new-yorkais Katsu. Celle-ci se place dans la lignée de ce que l’intéressé avait réalisé en compagnie de Kendall Jenner lorsqu’il avait vandalisé un énorme panneau publicitaire sur Madison Square. En bonus, on pointera également une série de petits dessins rehaussés de couleurs que l’on doit au mythique skateboardeur Mark « The Gonz » Gonzales ainsi que d’autres petites merveilles d’Elzo Durt, Jean Jullien ou Raphaël Zarka.

Le MIMA sous le signe de la désobéissance civile
© GROUCH, 2014 KATSU

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content