L’esprit du street art: « l’aspect illégal est très important »

Partie de l'exposition The art of Banksy à Anvers © Tom Denis
Tom Denis Stagiaire

Le street art est de plus en plus exposé dans les musées. Ce que l’on oublie peut-être, c’est que le graffiti -illégal- est à la base de cette forme d’expression.

Exposition The Art of Banksy à Anvers
Exposition The Art of Banksy à Anvers© Tom Denis

Banksy, le plus célèbre des street artistes, joue avec le mystère. Son anonymat crée son identité. Aujourd’hui, ses oeuvres sont présentées un peu partout à travers le monde: Amsterdam, Melbourne et maintenant Anvers. Des toiles, un ticket d’entrée de 17€50, une exposition à l’intérieur d’un centre commercial, un parcours plus ou moins tracé et des oeuvres expliquées à travers le regard de Steve Lazarides, l’ancien « manager » de Banksy… Autant d’indices qui nous montrent que l’exposition The Art of Banksy est loin de l’esprit du street art. Mais quel est cet esprit?

« Ce que je veux, c’est ressentir l’adrénaline« , entame Blaze, jeune graffeur de 22 ans, quand on lui demande ce qu’il recherche quand il peint sur les murs. « Ce que j’aime, c’est de devoir faire attention, d’être susceptible à tout moment d’être coursé par les flics… » continue-t-il. Pour la plupart des graffeurs, c’est l’illégalité de l’acte qui crée l’intérêt du graffiti.

Le graff naît aux États-Unis, dans le début des années 60. De jeunes « writers » décident de descendre dans les rues pour taguer sur les murs de la ville. Au début, ils parsèment leur pseudonyme ou leur nom suivis du numéro de leur rue. On appellera plus tard cette signature un blaze. C’est dans New York et ses banlieues que le graff prend le plus d’importance. Les graffeurs, à force que leur « message » soit visible, se font connaître. Ils s’unissent et forment des équipes, des « crews ». Plus la concurrence s’intensifie, plus ces équipes de graffeurs innovent. Le « king », aidé des writers, élabore le projet et le « toy » rempli les surfaces. L’objectif de ces crews est de peindre leur nom et leurs couleurs sur des murs difficiles d’accès. Au fur et à mesure, la concurrence s’intensifie et New York se recouvre. Ce style d’expression est issu de la jeunesse bercée par le hip hop. Mais petit à petit, les graffeurs commencent à s’inspirer d’autres formes d’expression comme la BD ou la publicité. En 1980, la ville de New York déclare la guerre aux graffitis, ce qui amène de nombreux graffeurs à ouvrir leur propre galerie. Les Européens commencent alors à s’intéresser à cet art et les exposent sur le vieux continent. Les genres se mélangent et une appellation commence à émerger: le street art.

Dessin de Bonom à Saint-Gilles
Dessin de Bonom à Saint-Gilles© Tom Denis

À Bruxelles, l’engouement pour le street art est, depuis les années 80, bien présent. Fred Lebbe est membre du crew FarmProd. Pour lui, le mot street art est inapproprié: « ce mot, moi je ne l’aime pas. C’est vraiment un terme qui a été introduit à des fins commerciales. À la base, le graffiti, c’est un dessin, une inscription, une intervention à un endroit qui n’est pas prévue pour. L’aspect illégal est très important, il définit l’essence même de cette forme d’expression« , explique-t-il. Dans la capitale belge, le milieu de l’art urbain est assez large et diversifié. « D’un côté, il y a les artistes qui sont payés pour réaliser des fresques, de l’autre des tagueurs/graffeurs qui sont jugés comme des vandales. Ils peignent des trains ou des voies ferrées avec le style des graffeurs américains. (…) En plus, beaucoup d’étrangers viennent étudier dans des écoles d’art. Ils ont trouvé en la rue un bon moyen d’expression. Ils emmènent avec eux leurs influences. »

Caroline Vercruysse fait partie de l’ASBL Fais le trottoir . Elle organise des visites guidées pour faire découvrir les oeuvres urbaines dans plusieurs villes belges. Quand elle se promène en rue, son regard est attiré par toutes les inscriptions qui décorent les murs. Pour elle, ces artistes n’attendent pas une reconnaissance, ils s’épanouissent dans l’acte lui-même et l’anonymat est une garantie de sécurité. « C’est illégal, les graffeurs risquent des amendes. Ils doivent être anonymes pour continuer à travailler dans la rue de façon libre et sans contrainte. »

La peine infligée aux tagueurs pris en flagrant délit varie en fonction de la commune et de la « technique utilisée ». Dans le cas d’un graffiti à la bombe, l’amende peut aller de 250 à 650 euros. Au contraire, si c’est un collage, l’intéressé devra décoller son affiche. Mais ça peut aller plus loin. Un matin de juin 2012, un tag est apparu sur le dôme du palais de justice de Bruxelles. Après quelques mois d’enquête, un suspect a été interpellé et a été placé en prison pendant 15 jours. La peine retenue contre lui avait l’appellation « destruction de biens publics » et non « dégradation ».

Dôme du palais de justice de Bruxelles tagué
Dôme du palais de justice de Bruxelles tagué « ideahot » en 2012 © BELGA/Nicolas Lambert

La place choisie pour un graffiti est très importante, nous explique Caroline Vercruysse. « Personnellement, j’ai trouvé que c’était un magnifique pied-de-nez d’aller peindre la coupole du Palais. En matière de placement, c’est très réussi, tu as une vue à 360 degrés dans toute la ville. Tu fais parler. »

Parfois, les interventions se veulent évocatrices ou veulent interpeler. C’est le cas des fresques chocs qui ont fait leur apparition à Bruxelles. Le pénis de Saint-Gilles a été retiré tandis que la pénétration située rue des Poissonniers est conservée. « D’habitude, la ville efface tous les graffitis, on les efface sans se poser de questions. Là, un conseil communal a été organisé pour savoir si la pénétration serait gardée ou pas. Si on décide pour un dessin, on doit décider pour tous« , s’indigne la réalisatrice du documentaire Mauvaises herbes. Pour l’un des membres du conseil de propreté de la ville, la décision est toutefois prise au cas par cas mais la réunion d’un conseil communal reste exceptionnelle. La nouvelle fresque apparue samedi dernier, représentant le Sacrifice d’Isaac, sera quant à elle retirée. Le bourgmestre, Yvan Mayeur a souligné son caractère interpellant: « elle pourrait être interprétée comme un appel à la violence« . L’auteur de cette fresque ne s’est pas manifesté. Illégalité, gratuité, interpellation et anonymat, c’est sans conteste l’esprit du graffiti.

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